Direction Artenay, la ville d'héritage de Solange pour percer enfin le secret des mystérieuses gaufres dunkerquoises. Arrivées avec un peu de retard, Solange nous attend de pieds fermes. Le gaufrier est sorti, les pâtons reposent au réfrigérateur et une belle plaque de marbre repose sur le plan de travail. Curieuse de tout savoir sur cette recette, je me suis prêtée au jeu de l'interview avec Solange :

Lilo : « Depuis combien de temps réalisez-vous ces gaufres ?
Solange : Depuis que je suis enfant. J'aidais ma mère à réaliser les petites boules de pâte. Et puis avec le temps, j'ai appris en regardant. Ma mère m'a ensuite légué son moule à gaufre et c'est ainsi que j'ai repris le relais dans la famille.

Lilo : J'imagine que votre mère a été également «formée» par votre grand-mère ?
Solange : tout à fait... la réalisation de la pâte était la même mais le matériel était différent à l'époque de ma grand-mère. Elle les faisait dans un gaufrier en fonte que l'on pouvait incorporer au poêle à bois. Il avait un long manche pour ne pas se brûler. Le problème, c'est qu'il était difficile de réguler la cuisson avec cette méthode. Il faut dire que les gaufriers électriques sont bien plus pratiques maintenant !




Lilo : J'ai remarqué en goûtant quelques gaufres qu'elles avaient un goût différent selon leur couleur. Pourquoi ?
Solange : En fait, c'est la température de cuisson qui apporte des modifications de goût selon les gaufres. Comme tu as pu le constater, il y a beaucoup de beurre et de sucre vergeoise. A quelques secondes de cuisson près, les gaufres dégagent ainsi une saveur différente, obtenue par une caramélisation plus ou moins prolongée. Et puis, chose qui ne s'explique pas, ma belle-soeur, qui utilise pourtant les mêmes ingrédients, réalise des gaufres qui ont un goût différent des miennes !

Lilo : Justement, entrons dans le vif du sujet... comment faîtes-vous ces gaufres ? Je ne vous cache pas que j'ai été étonnée que vous acceptiez de la délivrer. Certaines recettes traditionnelles se gardent jalousement !
Solange : Au contraire, je suis ravie de te présenter cette recette. Si on n'enseigne pas la tradition culinaire, elle ne peut pas perdurer et en ce qui concerne les gaufres dunkerquoises, ce serait bien dommage ! On commence ? En fait j'ai déjà préparé la pâte la veille pour qu'elle repose. C'est une étape essentielle, sans quoi, il serait impossible de la travailler. Placée au réfrigérateur, la pâte se durcie puisqu'elle est composée de beaucoup de beurre.

Les ingrédients:
- 1 kg de farine blanche,
- 1 kg de vergeoise blonde nature (surtout ne pas prendre de la vergeoise brune, le goût serait radicalement différent),
- 500 g de beurre fondu (un beurre de qualité car il ne faut pas qu'il rende du petit lait),
- 4 oeufs,
- 1 cuillère à soupe de cannelle en poudre,
- ¾ d'un verre d'eau (petit verre à moutarde),
- ¾ d'un verre de rhum ambré.

Je mélange bien aux doigts la farine et le sucre vergeoise, et je fais ensuite un puit dans lequel je rajoute les oeufs, l'eau, le rhum et la cannelle. Je travaille bien cette préparation et j'incorpore le beurre petit à petit. Après avoir reposée au moins 12 h, la pâte est roulée en pâtons cylindriques. Cette fois-ci, ils font 2 cm de diamètre car je souhaite faire des petites gaufres. Mais on peut aller jusqu'à 3 cm de diamètre. Je les farine légèrement et je les dispose de nouveau au réfrigérateur au moins 1 heure. Ceci est très important pour pouvoir bien les travailler après. Sans quoi, ils colleraient aux doigts.




Je sors les pâtons un à un, jamais toute une plaque à la fois, toujours pour les mêmes raisons. Je les coupe en tranches de 1,5 cm.




Je les dispose ensuite sur le gaufrier qui a préchauffé depuis 10 min. Je rabats ensuite rapidement le gaufrier sur les morceaux de pâte. Comme tu peux le voir, la grille est très fine. Avec un moule à gaufre classique, celui qui est utilisé dans les foires, cela ne donnerait rien de bon !




Au bout d'une petite minute, je relève l'appareil et récupère les gaufres avec une spatule métallique. Je les dispose ensuite sur une plaque en marbre. Ce dispositif est également une étape essentielle à la réussite de cette recette. Le marbre permet de refroidir directement les gaufres et de les mettre bien à plat. Quand je les ressors de l'appareil à gaufre, tu peux t'apercevoir qu'elles sont molles. Quelques secondes après, elles sont déjà craquantes.




Je les empile sur une grille et les mets dans une boite métallique. Elles se conservent un bon mois, à condition de bien refermer la boite. A la maison, nous sommes vraiment amateurs de ces gaufres, on ne les garde généralement pas aussi longtemps !

Lilo : L'appareil que vous utilisez est quasiment neuf. Vous n'aviez pas hérité de celui de votre mère ?
Solange : Effectivement, mais le pauvre a tellement servi qu'il ne fonctionne plus, j'ai dû en racheter un autre, plus actuel.

Lilo : Où peut-on trouver alors un appareil à gaufre avec ce moule spécifique ?
Solange : Les appareils à gaufre, on en trouve partout mais la grille permettant de faire ces gaufres sèches se trouvent uniquement dans le nord de la France. J'utilise un appareil de la marque Lagrange qui comporte différents moules : à gaufre classique, à croque-monsieur et à gaufrette (les fabricants d'électroménager l'appelle «gaufrette» certainement pour que l'on confonde avec la gaufre classique). Si tu as déjà un appareil à gaufre de cette marque, tu peux uniquement racheter la plaque.


Je suis repartie de chez Solange les cinq sens en éveil : l'odeur subtile d'un biscuit aux senteurs de cannelle et de rhum, le goût du sucre caramélisé dans ma bouche, le bruit amusant de ces gaufres craquant sous la dent, leurs couleurs blondes, noisettes parfois brunes, et leur originale texture en nid d'abeilles (1). Et je l'avoue, tandis que je rédige ce billet, je termine les gaufres que Solange m'a donné en repartant de chez elle. Je la remercie pour son accueil et la transmission de son savoir-faire. J'espère que cela vous aura donné envie de voyager peut-être dans le nord de la France et qui sait, de vous lancer dans la réalisation de ce délicieux biscuit.

(1) Le mot "gaufre", emprunté au francique, signifie gâteau de cire d'abeille. Le francique est la langue des anciens Francs, faisant partie du germanique occidental.