jeudi 31 janvier 2013
Oeufs cocotte aux chanterelles, mouillettes au Beaufort
Dimanche, en me baladant en forêt, je suis tombée par hasard sur une dizaine de chanterelles à tubes, nichées sur un tapis de mousses. Quelle surprise d'en trouver en plein mois de janvier ! La Craterellus tubiformis prospère surtout en période de froid. Dans le Berry et la Sologne, c'est en novembre et décembre que la saison bat son plein. Visiblement, il arrive qu'elle pousse en cette période, comme en atteste cet article.
Me voilà donc avec ma petite poignée de chanterelles, heureuse à l'idée d'en ramasser d'autres ! Car elles poussent toujours en colonies. En m'avançant au coeur d'une parcelle d'épicéas, recouverte d'un épais manteau de sphaigne, j'ai effectivement trouvé d'autres spécimens. Certains avec un beau chapeau ouvert comme un gramophone aux bords ondulés, d'autres en forme de boutons de culotte (c'est le stade jeune, mais je ne les ai pas ramassés pour les laisser grandir un peu). La récolte n'était pas énorme (400 g), mais j'avais de quoi réaliser une petite recette sympa...Côté cueillette, vous ne couperez pas les pieds à la base, mais les déterrerez doucement et remettrez de la mousse ou des feuilles à l'endroit du prélèvement, pour préserver le mycélium (réseau racinaire blanc, produisant des "fruits", à savoir des champignons). Il peut arriver que le pied jaune et tubulaire soit gorgé d'eau et s'arrache tout seul. Tant pis, mais appliquez-vous tout de même lors du ramassage. Bien déterrer le pied est un principe élémentaire de reconnaissance d'un champignon (sa forme peut être déterminante entre un spécimen médiocre ou toxique).
Avant de parler cuisine, j'aimerais vous livrer une anecdote utile au sujet des chanterelles. Une année, je me trouvais au marché de la hall aux blés à Bourges, face à un étal de champignons. Le marchand, un vieux bonhomme tout fin au regard malicieux, tentait de me vendre ses chanterelles (à 15 € le kilo). Je lui demande, l'air de rien : "Vous les avez trouvées où vos chanterelles ?". Lui :"Bah, en forêt pardi, en Sologne, vers Nancay." Moi : "Ah oui, bien sûr... mais sous quel type d'arbre ? Je suis curieuse n'est-ce pas. " Lui, souriant mais un peu agacé tout de même : "C'est sûr, vous en posez des questions ! Je les trouve toujours sous les chênes et les châtaigniers"... Bip, mauvaise réponse ! Je le regarde gentiment et lui rétorque : "Les chanterelles ne poussent pas sous les feuillus, mais spécifiquement sous les résineux... Vos chanterelles sont roumaines ou polonaises, n'est-ce pas ?", avec le sourire. Lui, un peu déconfit et tentant de se défendre : "Pas du tout, c'est un ami qui me les a ramenées de Rungis !". Quand vous vous retrouverez face à une cagette de chanterelles au marché, sans étiquetage indiquant provenance, pensez à cette petite histoire et interrogez le vendeur, c'est toujours très intéressant.
De retour à la maison, je me suis demandée comment j'allais cuisiner ces chanterelles. J'ouvre le frigo, pas grand chose à part des oeufs, de la crème fraîche et du Beaufort. L'idée des oeufs cocotte s'est naturellement imposée à moi, mais l'ajout d'oignons, je le dois à une certaine Sandrine, abonnée à ma page Facebook (après avoir posté la photo des mains de l'homme-ours remplies de chanterelles). J'avais justement acheté la veille une petite botte d'oignons nouveaux et pensais plutôt la mettre dans une faisselle. J'aurais pu les faire cuire, mais je me suis dit que leur saveur verte et piquante apporterait un peu de fraîcheur aux oeufs cocotte.
Il n'y a encore pas si longtemps de cela, je me demandais ce que je pouvais faire de l'eau de végétation rendue par les champignons à la cuisson. Doit-on la garder (pour faire quoi), la jeter ou la laisser s'évaporer ? Sur le net, je trouvais de tout et n'importe quoi. Comme je rédigeais un article sur le sujet pour un magazine, je suis allée à la source, j'ai appelé un chef dont la réputation de sa cuisine est associée au champignon : Régis Marcon. Il n'était pas disponible lors de mon appel, mais son fils Jacques, oui. Très sympa. Il m'a expliqué que l'on garde l'eau de végétation des champignons, riche en arôme, pour la réutiliser dans les soupes, sauces, bouillons, risottos, à l'exception des champignons toxiques crus, mais comestibles cuits, comme l'amanite rougissante (on jette l'eau ou on la laisse s'évaporer).
Autre chose importante, en fonction des saisons ou du degré d'hygrométrie, les champignons peuvent être secs et ne pas rendre d'eau. Il convient alors de les faire cuire avec un fond de bouillon de légumes. C'est une méthode surtout applicable aux champignons nécessitant une cuisson longue (pour devenir comestibles), comme la morille et la russule charbonnière (minimum 15 minutes).
Après avoir poêlé mes chanterelles à sec 3 ou 4 minutes dans une grande sauteuse, je les ai égouttées et récupéré leur eau délicieusement parfumée. Pour donner encore plus de goût à mes mouillettes de pain d'épeautre, je les ai trempées rapidement dans le jus de chanterelles, puis, je les ai saupoudrées de Beaufort. Dix minutes au four. Un résultat sublime. Du pain croustillant, caramélisé grâce à un fromage des Alpages fruité, et l'arôme intense des champignons. Ces mouillettes ont parfaitement accompagné mes oeufs cocotte. Dernier conseil, découpez votre petit bout de pain en 3 ou 4 morceaux et laissez-les s'imbiber du jaune d'oeuf, de la crème et du Beaufort fondu... C'est un régal !
Ingrédients pour 4 personnes
400 g de chanterelles - 20 g de beurre - une bonne pincée de sel - 8 tranches de pain de campagne découpées en bâtonnets - 120 g de Beaufort râpé - 2 petits oignons nouveaux - 4 oeufs -100 g de crème fraîche - poivre noir fraîchement broyé
Temps de préparation : 40 minutes
Niveau : facile
Coût : économique
1. Retirez le pied terreux des champignons. Essuyez-les avec un torchon humide ou un pinceau. Si les chanterelles sont vraiment terreuses, plongez-les 3 secondes dans une bassine d'eau, secouez-les et retirez-les immédiatement. Laissez égoutter sur un torchon épais.
2. Faites chauffer une sauteuse à sec (sans ajout de matière grasse) et à feu modéré. Ajoutez les chanterelles. Laissez cuire 3 ou 4 minutes, jusqu'à ce qu'elles rendent leur eau de végétation. Récupérez ce jus en disposant une passoire au-dessus d'un saladier. Refaites chauffer la poêle, avec le beurre cette fois-ci. Quand il est noisette, ajoutez les chanterelles pré-cuites et poursuivez la cuisson pendant 5 minutes, jusqu'à ce qu'elles soient légèrement dorées. Salez et mélangez.
3. Préchauffez le grill du four. Trempez chaque mouillette rapidement dans le jus de chanterelles et disposez-les sur une plaque. Saupoudrez de Beaufort râpé (environ 60 g) et enfournez jusqu'à ce que le fromage devienne doré. Décollez-les de la plaque et lancez votre four à 180 °C.
4. Lavez les oignons nouveaux et émincez-les finement.
5. Dans 4 ramequins assez grands (Pyrex pour moi), disposez au fond la moitié des chanterelles et des oignons nouveaux. Cassez un oeuf au-dessus de chaque ramequin. Répartissez la crème fraîche, le Beaufort, les chanterelles et les oignons restants.
6. Enfournez les oeufs cocotte pendant 15 minutes. A la sortie du four, saupoudrez de poivre noir. Servez avec les mouillettes.
Commentaires
Quel régal, on est vraiment accros aux champignons à la maison, et mon homme adore les oeufs. Crois-tu que l'on puisse essayer avec des pleurotes ? (rendu d'eau, texture)
— Sweet Faery, le 31 janvier 2013 à 12:06Et merci pour l'anecdote, comme quoi il faut toujours se méfier, pff...
Joli billet coloré !
— Valérie, le goût en éveil, le 31 janvier 2013 à 13:11Mon blog préféré de cuisine, les photos sont superbes, les idées géniales et rafraichissantes. Et puis entre deux articles de cuisine, on voit du pays, de la nature.
— Gatsby, le 31 janvier 2013 à 19:16Un seul reproche, le labs de temps entre les publications.
Rhôôôôô! quelles photos...; quel billet une fois encore! mais c'est la poule aux oeufs d'or dit donc..... des chanterelles en janvier !!!!
Reviens nous vite Lilo
Bises
— NIC, le 31 janvier 2013 à 21:10NIC
Je prends note de ta recette pour l'automne prochain,car je doute fort de trouver des chanterelles à tube en ce moment. Je connais un bon coin tout près de Saint Bonnet le Froid pays de Régis Marcon justement...
— Mande, le 31 janvier 2013 à 21:22J'adore venir baver devant les photos de ce blog, je trouve la lumière particulièrement belle ! Je me souviens notamment de l'article du crumble poire châtaigne, déjà l'association est divine, mais les photos m'avaient carrément séduites ... et celles ci, dans un style différent sont tout aussi réussies.
Je ne laisse jamais de commentaires, me disant "on verra quand j'aurais fait la recette", mais quand je reporte j'oublie ! Or hier j'ai testé les bagels et ajourd'hui des pancakes à la ricotta, et les 2 étaient bien réussies, grâce aux excellentes explications !!!
Et de plus, j'aurais une petite remarque sur cet article, concernant les tapis de sphaignes…
Ce sont normalement LA mousse des tourbières et cela m’étonne de les voir dans cette forêt d’Epicea. Peut-être serait-ce plutôt des tapis de « Polytricum » ? ou même sur du « Thuidium » (sur les photos). A moins, peut être, qu’il ne s’agisse d’une très ancienne tourbière ?
Je me permets cette précision car on vous sait intéressée par les plantes, et il se trouve que je suis un peu botaniste … Alors loin de moi l’idée de donner des leçons, car je suis loin d’être bryologue !!! Mais pour une fois que j’ai moi aussi quelque chose à partager … !
En tout cas merci pour les recettes et leurs histoires, c’est toujours un plaisir de lire un nouvel article !
— Ena, le 31 janvier 2013 à 22:58Par contre moi je suis étonnée de lire que les chanterelles à tube ne poussent que sous les résineux. Nous en ramassons des kilos chaque année en forêt de Rennes, et nous en trouvons dans des zones qui ne comportent que des feuillus. Certes il y a des pins pas très loin et nous sommes dans d'anciennes zones marécageuses, l'eau circule beaucoup d'une parcelle à l'autre dans les fossés, mais de là à dire que "spécifiquement" sous les résineux... .
— Françoise, le 1 février 2013 à 08:25Sweet Faery, merci ;) je ne sais pas si la pleurote peut bien aller avec ce genre de recettes ou alors coupe-la en fines lamelles et fais-la bien cuire.
— Lilo, le 1 février 2013 à 09:41Valérie, merci !
Gatsby, merci également pour tes compliments ;) Pour le reproche, je fais pour le mieux ! Je préfère publier moins et proposer une recette de qualité, avec de belles photos, lorsque j'ai l'inspiration, que de m'imposer un billet chaque semaine, qui serait forcément bâclé (parce que mine de rien, j'ai beaucoup de travail ^^). Pour info, un billet comme cela, entre la cueillette en forêt, les photos sur le terrain, le recadrage photo à la maison, la recette à faire, la vaisselle, les photos de la recette, la rédaction du billet > c'est un travail de 12 heures ! Donc une journée et 1/2 de travail offerte, pour le plaisir des lecteurs ;)
Nic, oui étonnant d'en ramasser en janvier ? ;)
Mande, tu peux toujours tenter, on se sait jamais.
Ena, merci beaucoup pour ton message :) Alors c'est une très vieille forêt de résineux mais de là à pouvoir la dater... J'en ai fait de la sphaigne mais après observation du Thuidium, cela peut être cela. Je retournerai ce week-end prendre des photos macro et regarderais dans mes bouquins botaniques ;)
Françoise, il y a la chanterelle à tubes (craterellus tubaeformis) qui pousse presque toujours sous les conifères et très rarement sous les feuillus, à condition que le sol soit acide, humide et moussu (donc indiquant une présence passée de résineux ou une proximité). Il a la chanterelle jaunissante (cousine de celle à tubes, Craterellus lutescens) qui, elle, ne pousse que sous conifères (et sol calcaire). Il y a toujours des exceptions comme celle qui consiste à trouver des chanterelles fin janvier début février ;) En tout cas, quand un vendeur/ramasseur te dit : mes chanterelles, je les trouve sous les chênes, humm c'est plutôt louche ! Mais ta remarque est pertinente, je vais faire le distingo dans le billet.
Très beau billet Lilo !!! J'ai des cèpes au congélateur (ramassé dans le Périgord cet été en vacances), je fais réaliser ta recette avec. MErci de nous faire partager tout cela. Et si on souhaiterait que tu publies plus, c'est parce q'uon adore ce que tu fais !!!!
— Christine, le 1 février 2013 à 09:45Magnifiques photos comme d'habitude, c'est vrai cette lumière est merveilleuse... Où te situes-tu en Auvergne, car c'est vaste comme région. Plutôt de quel côté ? Cet été je pars en vacances à la ferme au Plateau de Millevaches, c'est par-là ? Tes photos me donnent envie de cuisiner, ça c'est sûr et aussi d'arpenter ta belle campagne. Bon week-end Lilo !
— Lorraine, le 1 février 2013 à 10:39Plaisir des yeux pour ces jolies photos.
— Framboise, le 1 février 2013 à 19:40Un régal ces oeufs cocotte, pleins de saveurs.
Avec de si belles photos , comment résister ?
— Syl, le 3 février 2013 à 12:14@+++
Quel bonheur de découvrir à chaque fois ces nouveaux billets !....
— Isas, le 5 février 2013 à 17:21Je suis ton blog avec passion et dans l'attente impatiente des nouveaux articles mais je comprends maintenant pourquoi il n'y en a pas plus ! Quel travail !
J'ai par bonheur pu découvrir ton livre (l'appel gourmand de la forêt) à la bibliothèque pas loin de chez moi et je me suis empressée d'aller l'acheter ensuite pour l'avoir chez moi.
Il est magnifique, vivement la belle saison pour pouvoir profiter à nouveau des cueillettes et tester toutes les recettes alléchantes que tu proposes.
Merci,
Isabelle
Des oeufs cocotte avec des chanterelles et du beaufort, je craque complétement !! Et tes photos sont vraiment toujours aussi belles, c'est toujours si harmonieux et lumineux !
— Reglisse, le 7 février 2013 à 21:33L''anecdote avec le vendeur de chanterelles m'a bien fait rire !
Hum! C'est toute la délicatesse des saveurs automnales dans un plat!
— Plaisir gourmand, le 9 février 2013 à 15:56HélaLilo !
joli billet sur ce champignon à plis !
Précisons que la Chanterelle en tube n'a pas son pareil pour concentrer la radioactivité, euh..., ah si ! le Bolet bai (Xerocomus badius) !
une question : c'est ces grosses paluches toutes sales qui les ont déterré ?
— Arnaud, le 9 février 2013 à 21:13J'espère qu'elles ont pris soin de respecter le tapis de douces bryophytes !
Quel bel article (comme toujours)... J'ai particulièrement aimé l'anecdote de ton vendeur de Chanterelle! Ton joli sourire a dû beaucoup aidé ce vieil arnaqueur à ne pas se fâcher ;)
Je t'embrasse,
Marie
— Marie Chioca, le 11 février 2013 à 19:29Oups en effet je ne me rendais pas compte de l'investissement :)
— Gatsby, le 16 février 2013 à 20:11La photo des mains portant les girolles est magnifique. Je découvre le blog aujourd'hui et je suis sous le charme. Félicitations.
— Olivièr dau Clapàs, le 30 mai 2013 à 22:10