Il y a quelques mois, une amie m'a donné un peu de piments séchés que ses parents, installés depuis peu au Pays Basque, lui avaient offerts. J'étais vraiment ravie de découvrir ces cornes luisantes et rouge grenat. Une texture étrange, à la limite du plastique pour reprendre les termes de ma fille. "Je peux en prendre pour la dinette ?!". "Je te le déconseille ma belette !". Comme la plupart des français, je connais assez peu ce légume provenant du nouveau Monde. Au départ, je pensais qu'il s'agissait de piments d'Espelette, mais en regardant de plus prêt sur l'étiquette, je me suis aperçu que la mention "Espelette" et le sigle AOC n'y figuraient pas. Même si je suis d'un naturel méfiant pour tout ce qui touche à l'alimentaire, je n'ai pas senti d'arnaque dans l'appellation "Piments du pays". Une belle allure, une odeur enivrante, la provenance indiquée par les coordonnées du producteur... tout cela était plutôt rassurant.


pimentsPiment d'Espelette versus Piment doux du Pays basque

Et si j'appelais directement le producteur pour en savoir plus ? Une femme très charmante a répondu à toutes mes questions de néophyte. C'était la mère de l'agriculteur, qui devait être dans les champs à bichonner et récolter ces piments (la pleine saison).

Moi : pour quelles raisons les piments de votre fils ne bénéficient pas de l'appellation Espelette ?
La productrice : nous sommes installés à La Bastide Clairence, en dehors de l'aire géographique AOC. Par conséquent, nous ne pouvons prétendre à cette appellation. Mais il serait dommage de ne pas cultiver ces légumes !
Moi : s'agit-il de la variété Goria (graines produisant le fameux piment d'Espelette) ?
L.P. : non, pas du tout. Il existe une multitude de piments dans notre terroir. Celui que vous avez est un piment doux, proche de celui d'Anglet - prononcez "Anglette" -. Nous produisons également la même variété de piment que l'Espelette, mais sans l'appellation.
Moi : quelles sont les différences majeures entre le piment d'Espelette et le piment doux du Pays basque ?
L.P. : l'Espelette est considéré comme condiment ou épice (force 4 sur l'échelle de Scoville), contrairement au deuxième, le biper heztia, très peu piquant et cuisiné comme un légume. Cueilli vert, avant mûrissement, il est parfois vendu à maturité, teinté de rouge vermillon. Nous le vendons séchés, en corde, pour une meilleure conservation.

Sa peau très fine ne demande pas d'être épluchée, comme le souligne le chef du restaurant du coin, Patrick Rubio de Teran. Dans son restaurant les Arceaux, situé sur la place principale de La Bastide Clairence, il cuisine les produits de Vincent Harismendy. Quelle chance, il a bien voulu me donner les clés pour réussir le poulet basquaise. Avouez que c'est plutôt classe de sa part, il est rare qu'un chef livre ses secrets.


    


Les secrets de préparation d'un bon poulet basquaise

Patrick Rubio de Teran : après avoir été découpé, précuit et doré dans une poêle à part, le poulet est plongé dans une sauce de légumes que l'on appelle "piperade" (vient du mot basque "biperra" qui signifie "piment"). C'est une sauce composée d'ail, d'oignon, de tomates, de piments, de talon de jambon de Bayonne et d'huile d'olive.
Moi : ne doit-on pas mettre des poivrons normalement ?
P.R.T. : traditionnellement, on utilise des piments doux frais. Etant donné que ce légume est rare sur les marchés de France, on le remplace naturellement par du poivron vert (qui n'est autre qu'un gros piment, sans le piquant). Contrairement au piment doux, il convient de le faire griller côté peau pour ensuite la retirer.
Moi : j'ai lu dans certaines recettes que l'on ajoutait du vin blanc...
P.R.T. : personnellement, je n'en mets pas car je trouve qu'il donne trop d'acidité à la sauce. Après, tout dépend de la variété de tomates que vous utilisez. La meilleure reste la coeur de boeuf dont la texture très charnue et la saveur aromatique donnent du corps et parfument agréablement la piperade. D'ailleurs le temps de cuisson de cette sauce dépend de la qualité des tomates. Si vous n'avez que des variétés classiques, avec beaucoup de pépins, mieux vaut la faire mijoter plus longtemps.
Moi : comment réalisez-vous la sauce de base du poulet basquaise ?
P.R.T. : j'épluche et écrase les gousses d'ail et les fais revenir dans de l'huile d'olive. J'ajoute ensuite les lardons de jambon de Bayonne et quand ils sont cuits, je mets les oignons émincés et les fais dorer. Enfin, je verse les dés de tomates fraîches et les lanières de poivrons et laisse mijoter à couvert et à feu doux, jusqu'à l'obtention d'une sauce semi-épaisse.
Moi : doit-on obligatoirement mettre du piment d'Espelette ?
P.R.T. : c'est au goût de chacun. Chez nous, on utilise ce piment comme on le ferait avec du poivre, ajouté d'ailleurs toujours en fin de cuisson pour préserver ses arômes. Ce conseil s'applique bien entendu pour la version en poudre. Si vous avez un piment entier séché, coupez-en un petit morceau et ajoutez-le en début de cuisson de la piperade.


tomate Pour ma recette, j'ai donc utilisé des poivrons verts et ajouté deux piments doux séchés. Je ne savais pas encore si j'allais ajouter un peu de piment d'Espelette en poudre, préférant goûter le nectar ensoleillé avant de commettre l'irréparable. Les enfants m'auraient reproché de cracher le feu. Au bout d'1h30 de cuisson, j'étais béate d'admiration. Observez les nuances de couleurs, la nappe dorée d'huile d'olive et de jus de poulet en surface, les petits morceaux poivrons compotés ! Après avoir trempé les lèvres dans le bouillon, j'ai décidé de ne pas ajouter de piment d'Espelette. Les piments doux ont parfumé et épicé juste ce qu'il faut le plat.

Ai-je besoin de préciser que pour faire honneur à ce monument de la gastronomie basque, il convient de choisir un poulet fermier ? Si comme moi vous êtes une fourmi en cuisine, pensez à en préparer plusieurs d'avance et à les congeler. L'automne et l'hiver qui nous attendent s'annoncent rudes, alors préparez dès maintenant vos conserves de tomates et de poivrons. Loin de moi la prétention de vous dire que cette recette de poulet basquaise est la plus authentique qu'il soit. Seulement, je dois avouer que nous n'en avons pas perdu une miette, que dis-je, une goutte ! Merci Charlotte (et indirectement tes parents) pour les piments !


Ingrédients pour 6 personnes
1 poulet fermier (coupé en morceaux par vos soins ou votre boucher) - 1 kg de tomates coeur de boeuf (ou autre variété très charnue) - 400 g de poivrons verts (ou 300 g de piments doux du Pays Basque frais) - 2 piments doux séchés (ou un petit morceau de piment d'Espelette séché ou une pincée en poudre à ajouter en fin de cuisson) - 1 oignon - 4 gousses d'ail - une tranche épaisse de jambon de Bayonne - 6 cuillères à soupe d'huile d'olive - 2 pincées de sel
Temps de préparation : 1 h 30
Niveau : plutôt facile
Coût : économique

1. Préchauffez le grill du four puissance maximale. Coupez les poivrons en deux, retirez le pédoncule et les parties blanches. Rincez-les à l'eau froide et disposez-les côté peau sur la grille du four. Faites-les griller jusqu'à ce que la peau cloque. Mettez-les encore chaud dans un sachet congélation zippé. Réservez. Cette étape n'est pas nécessaire si vous avez la chance de cuisiner des piments doux frais.

2. Portez une grande casserole d'eau à ébullition. Plongez les tomates et laissez bouillir 30 secondes. Rafraîchissez-les dans un saladier rempli d'eau froide, puis retirez délicatement leur peau. Coupez-les en dés au dessus d'un saladier (pour récupérer leur jus). A savoir, si les coeurs de boeuf sont bien mûres, vous n'aurez pas forcément besoin de procéder à cette étape, la peau s'enlève souvent toute seule.

3. Épluchez les gousses d'ail et écrasez-les (dans un mortier avec un pilon ou avec le plat du manche du couteau chef). Retirez les germes.

4. Épluchez l'oignon et émincez-le finement.

5. Retirez la couenne (mais pas le gras) du jambon de Bayonne. Coupez-le en lanières.

6. Retirez les poivrons du sachet congélation et débarrassez-les de leur peau. Coupez-les en lanières.

7. Versez 4 cuillères à soupe d'huile d'olive dans une grande cocotte. Faites chauffer à feu modéré et ajoutez l'ail écrasé. Laissez cuire une minute, ajoutez les lardons de jambon de Bayonne. Quand ils sont cuits, mettez les oignons et laissez-les blondir. Versez enfin les tomates, leur jus, les poivrons et les piments doux séchés (ou le petit morceau de piment d'Espelette séché). Ajoutez éventuellement un verre d'eau si les tomates ont rendu peu de jus (il faut tout de même une certaine quantité de liquide pour cuire le poulet).

8. Laissez mijoter à feu doux et à couvert pendant 30/40 minutes.

9. Dix minutes avant la fin de cuisson de la piperade, faites dorer recto-verso les morceaux de poulet dans une grande poêle, avec les 2 cuillères à soupe d'huile d'olive restantes. Comptez 10 minutes de cuisson.

10. Immergez ensuite le poulet dans la sauce tomates/poivrons/piments, couvrez et laissez mijoter 30 minutes. Mélangez de temps en temps.

11. Retirez le couvercle, salez et poursuivez la cuisson pendant 10 minutes pour faire réduire la sauce. Goûtez-la et ajoutez éventuellement une pincée de piment d'Espelette en poudre.

12. Servez avec du riz, des pommes de terre à l'eau ou des pâtes.




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